Dans » Les Souvenirs de Marie-Claire « , nous ne disposions pas de tous les éléments, certains demeuraient mystérieux, quelquefois révélés. La petite fille a perdu son père dès l’âge d’un an. Unique enfant du couple, elle est partie vivre chez ses grands-parents maternels avec sa mère pour une petite dizaine d’années. C’est dans la maison familiale du Cateau que la jeune enfant s’éveille, découvre, apprend. Des souvenirs qui l’accompagneront toute sa vie et qu’elle a souhaité transmettre.
En voici un extrait, avec l’aimable autorisation de Marie-Claire Bachy
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» Maman partait sereinement enseigner au lycée Fénelon du Cateau tandis que j’étais choyée, comblée d’attentions.
Dès que je le pouvais, je me précipitais dans le jardin, qui m’apprit les beautés des roses, des grandes marguerites, des pivoines et d’autres fleurs de massif. À côté de ces fleurs de toute taille, couleur, odeur, se trouvait un potager, bien garni, qui leur tenait compagnie.
C’est toujours fascinant l’éveil d’un enfant devant les merveilles de la nature et des saveurs à déguster. Je me souviens d’une quantité de produits qui poussaient comme par magie chez nous : des haricots, des pommes de terre, des radis, de la salade. Une petite serre aidait à l’épanouissement des productions les plus fragiles. Il y avait de tout… Et aussi des fruits… Les fraises des bois offraient un délice incomparable, elles côtoyaient les groseilles. De grands arbres fruitiers se réunissaient : des cerisiers, des poiriers, des pêchers. Ma grand-mère vendait sa récolte abondante de fruits, il nous arrivait avec ma mère et ma tante d’aller dans la remise pour savourer encore d’autres pêches d’un goût exquis !
Au bout du potager, se trouvait un poulailler qui jouxtait une petite pâture. Une menue basse-cour égayait le silence par ses chants et gloussements… Des coqs et des poules anglaises marchaient, couraient, voletaient dans cet écrin de verdure.
Une fois, je me régalais tant avec les saveurs de cet éden que j’eus l’idée de donner aux poules des restes de groseilles noires avec lesquelles nous venions de faire du jus. Après leur repas d’un nouvel acabit, elles commencèrent à afficher une démarche vacillante. Mon grand-père me demanda : « Qu’as-tu fait ? » Je compris qu’il ne fallait plus leur donner ce genre de fruits.
Mon grand-père avait été instituteur, assureur, et se passionnait pour la chasse. Une chance pour nous ! Ce grand chasseur, accompagné de son chien de chasse, nous rapportait du beau gibier tels des sangliers et de la volaille : des perdrix, des faisans. Et nous mangions aussi nos poules et des lapins.
De temps à autre, je constatais qu’une nouvelle proie était en cours de dépeçage. J’évitais de regarder. Mon grand-père prenait toujours le même seau pour recevoir tout ce que nous ne mangerions pas. À ce propos, il lui arriva une fois de quitter un instant les lieux après avoir déplumé une poule ; et quand il revint, la coquine s’était échappée. Que lui était-il arrivé en quelques minutes ? Nul ne le sait. Ah les mystères de la campagne et ses épisodes cocasses !
Sinon, rassurez-vous, le reste du temps la pauvre bête terminait entre les mains de ma grand-mère pour notre plus grand plaisir, car elle était une excellente cuisinière.
En effet, la cuisine était son domaine, aussi je ne fréquentais pas le monde des casseroles et des marmites. Je ne participais pas à ce genre de tâches. Je crois que ma grand-mère ne souhaitait pas nous voir traîner autour de ses fourneaux. Elle y était dans son élément. Mémé était sereine, excepté lorsque l’orage grondait. Elle avait une peur bleue des grondements du tonnerre, elle se précipitait derrière la porte – elle nous confia qu’elle avait vu la foudre quand elle était enfant…
Hors de la cuisine, je disposais de l’espace de la maison et du jardin pour jouer à ma guise en étant souvent accompagnée par la petite sœur de Maman. Cependant, nous étions sollicitées toutes les deux par mon grand-père pour faire de menus travaux comme la récolte des légumes ou la cueillette des fruits. Les denrées alimentaires étaient préservées à la cave sur des étagères en bois, disposées par paliers – une installation que mon grand-père avait peut-être inventée pour favoriser la conservation de nos produits… Un garde-manger mettait aussi à l’abri nos fromages. À la cave, il y avait également la lessiveuse-batteuse. Mais le linge, nous l’étendions dans le vaste grenier où nous entreposions les haricots blancs pour les faire sécher. Quant à la baignoire en émail, elle se trouvait dans la chambre à coucher de mes grands-parents.
Avec ma tante, nous allions chercher le lait et le beurre à la ferme, située dans notre rue. Il arrivait que nous fassions des courses sur la grand-place du Cateau.
J’aimais aussi jouer avec un baigneur en celluloïd, lire des livres, surtout Bécassine, mon personnage favori de bandes dessinées. Un jour, j’eus un cadeau qui dut leur coûter cher, mais qui m’effraya : un énorme nounours à roulettes sur lequel je pouvais monter. C’en était trop !
Étant l’unique petite-fille, tous les regards et les attentions m’étaient adressés. J’étais très bien entourée. Et à vrai dire, je sortais peu. Je fixais bon nombre de souvenirs à l’intérieur de ce foyer chaleureux où je ne manquais de rien. Je parcourais de temps à autre la rue Seydoux, la Selle passait par-là, j’y recueillais des petits poissons, des épinoches, que je logeais dans une bassine. Je prenais aussi des herbes que je disposais dans mon « aquarium » pour qu’ils ne manquent de rien.
Je jouais avec mon chien Smoky, mon loulou, un petit chien blanc adorable. Mon grand-père avait, lui aussi, son chien de chasse, appelé Stop, un copain idéal pour Smoky.
Concernant nos sorties, elles ne me semblèrent pas limitées. Ce qui demeure curieux, c’est mon absence de souvenirs d’école durant cette période alors que je sais que Maman s’y rendait, puisqu’elle était institutrice au lycée Fénelon du Cateau. Je dispose pourtant d’une photographie, d’un portrait d’école. C’est la preuve que j’y allais… Peut-être est-ce le fait que ma mère était institutrice ? Peut-être étais-je avec elle et ne vécus-je pas la « séparation » qu’inflige la rentrée scolaire ? «
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© Camille auteure biographe