Comment bien commencer l’ouvrage ? Les premières pages emportent les lecteurs dans la découverte de l’intrigue. Dès les premières lignes, la lecture doit être agréable. Je vous propose de lire ci-dessous un incipit, extrait de Sous le clocher de Roquetoire, qui permet de présenter efficacement la situation où nous déclinons les identités des principaux membres de la famille et décrivons la vie paisible d’un village des Hauts-de-France.
« C’est dans la maison familiale, située rue de Mametz dans le village de Roquetoire, où je suis né le samedi 8 octobre 1932, qu’il me vient à l’esprit mon tout premier souvenir. J’avais 4 ans. Nous vaquions tranquillement à nos occupations lorsqu’il fallut que nous partions avec mes frères chez ma grand-mère maternelle Apolline. Maman devait rester chez nous. Et puis, après un laps de temps,de quelques heures peut-être, nous retournâmes à la maison.
Quand je revis notre mère, je fus surpris : un bébé était arrivé par je ne sais quelle magie ! Il s’appelait Georges et ce septième garçon venait agrandir notre famille en ce jour de 1936. J’étais désormais le cinquième d’une fratrie de sept frères qui comptait déjà Gilbert (1923), Guislain (1925), Germain (1926), Gabriel (1927), Gérard (1935) et cette nouvelle naissance que je venais de constater. Les prénoms de mes frères et moi-même commençaient tous par la lettre G. Curieux hasard ou volonté parentale ? Il est fort probable qu’il s’agisse d’une particularité amusante décidée par mes parents. Mais j’ignore qui fut l’instigateur de ce projet et quelles en étaient les raisons. Quant à moi, j’arborais le prénom assez rare de Gervais. Mais pour l’heure, je me demandais comment Georges était arrivé parmi nous.
Les dames de l’époque cachaient leurs grossesses ingénieusement. Je ne m’étais aperçu de rien. Toujours est-il qu’il était là, petit, frêle, emmailloté, et s’exprimant dans un curieux langage, composé de gémissements, cris, pleurs et gazouillis. Un univers fascinant s’ouvrait à moi et ce grand événement familial resta gravé dans ma mémoire. C’était une surprise incroyable de revenir à la maison et de découvrir ce bébé.
La maisonnée allait s’organiser. Deux chambres étaient au rez-de-chaussée, l’une pour mes parents, l’autre pour les plus jeunes de la fratrie, et les aînés dormaient à l’étage. Notre logement était chauffé partiellement, comme c’était souvent le cas à l’époque. La soupente ne disposait pas de radiateur. L’hiver, nous étions accoutumés au froid ! Notre salle à manger accueillait un poêle à charbon dans lequel nous injections des gaillettes pour nous chauffer, faire mijoter les repas, réchauffer le café dans une cafetière émaillée. À proximité de cet espace de vie, nous disposions d’une pièce que nous appelions « l’arlavou » dans laquelle nous faisions chauffer l’eau dans un petit poêle, nous nous en servions pour faire notre toilette et entreposer notre lave-linge, lequel était entraîné par la courroie d’un moteur polyvalent.
(…)
Mes parents étaient à leur tour établis au cœur du village de Roquetoire. Papa était livreur pour le compte de la brasserie-malterie de la Lys. Située au 3, rue des Alliés à Aire-sur-la-Lys, elle avait été fondée en 1900 par M. Houcke avec une partie des bâtiments de la brasserie Dubrulle, puis elle avait été reprise par M. Bar, et enfin dirigée par M. Tierny dès 1924. Cette imposante bâtisse est toujours visible de nos jours avec son architecture flamande, ornée de pignons à gradins.
Quant à moi, j’allais à l’école des garçons qui se situait à deux pas de la maison, près de l’église Saint-Michel et de la mairie. Mme Lugez était notre institutrice et son époux, M. Lugez, s’occupait des plus grands en vue de la préparation du certificat d’études. Mais l’école n’était vraiment pas mon fort… À vrai dire, je n’aimais pas, et toutes ces heures passées me semblaient interminables. Comme je n’arrivais pas à retenir, j’en ai copié des leçons !
Et quand c’était la fin de la journée, il y avait encore des devoirs ou des punitions. Ajouté à cela, nous avions toujours peur d’être réprimandés, même à l’extérieur de l’école.
Avec mes copains, il nous arrivait de passer par un chemin qui était attenant au cimetière, mais nous ne voulions pas être vus ; les adultes craignaient que nous fassions du bruit dans ce lieu où reposent les défunts. Seulement ce raccourci était tentant. Quand nous remarquions au loin nos instituteurs alors même que nous étions déjà engagés sur cette voie, nous nous mettions à genoux par peur d’être remarqués, un muret nous protégeait des regards. Nous redoutions de nous faire encore gronder sur notre temps libre… C’est dire la position vénérable qu’occupaient les maîtres d’école dans les années 1930. C’était un sacerdoce, leur travail dépassait l’instruction, l’instituteur inculquait des valeurs, d’autant plus que nous habitions un petit village où il était difficile de ne pas se croiser. À l’évidence, je préférais de loin notre journée de repos du jeudi, même si nous avions avec mes frères, chacun nos corvées à accomplir. Je me chargeais du bricolage, du jardinage, je ramassais les pommes de terre dans le potager… Je trouvais toujours une occupation que j’affectionnais particulièrement, en comparaison du fait de rester assis sur un banc d’école, devant un pupitre, où nous devions soigner notre écriture formée de pleins et de déliés à l’aide d’une plume Sergent-Major, trempée dans un encrier rempli d’encre violette par l’instituteur. Ceci dit, l’école permettait de faire connaissance avec les garçons du village. Après les cours, il nous arrivait de nous retrouver entre copains. Il pouvait y avoir de légères rivalités entre enfants des différents hameaux de Roquetoire. Nous ne résistions pas à batailler avec les gars du hameau de Ligne en lançant des boules de neige, produites par nos hivers rigoureux.
Ce n’étaient pas vraiment des bagarres, juste des petites luttes entre camarades. Un prétexte pour s’amuser au grand air.
Tous les jours, j’évoluais dans un quartier vivant, dynamique et chargé d’histoire. Au centre de notre village, l’église Saint-Michel, datant de 1868, avait été rebâtie à l’initiative des habitants qui avaient contribué, chacun dans leur mesure, à la réussite du projet. Autour de la place, des commerces faisaient vivre le village. Il y avait peut-être cinq épiceries*, trois boulangeries*, deux dépôts de viande : Gamblin le dimanche matin dans la rue de l’Église sous le hangar de Sidonie, et Mordacq, installé sur la placette de la rue de Mametz. Quelques cafés et estaminets étaient installés dans le village*.
Au café Brisbout, tenu à l’époque par Roger Griselin et Jacques Brisbout dans la rue de Mametz, nous étions servis du lundi matin au dimanche soir ! Dès qu’ils avaient reçu une bête à débiter, ils passaient le message aux villageois et ceux, qui le souhaitaient, demandaient un morceau de viande qu’ils obtenaient bon marché. Je me souviens aussi d’un dimanche soir où nous avions l’envie de manger des harengs, nous étions allés en chercher au café, qui nous servit sans problème. Ces cabarets affichaient une polyvalence dans leurs activités, tel celui de la rue du Moulin qui proposait des articles de quincaillerie et de textile. Ces cafés prospéraient grâce à la diversification de leurs services, lesquels devaient assurer une autonomie plus grande aux villageois qui ne se déplaçaient pas sans cesse en ville.
Comme dans tout village, il y avait un maréchal-ferrant et un bourrelier. Les chevaux étaient nos fidèles compagnons de travail dans les champs, des collègues indispensables ! Et puis, nous avions aussi un médecin, le docteur Lefebvre. Il habitait rue du Moulin, faisait ses visites à domicile, travaillait sans rendez-vous, pouvait être contacté de jour comme de nuit, et pendant les jours de fête, accouchait les villageoises. C’est lui qui nous soignait et mettait au monde les enfants de notre famille. C’était aussi un sacerdoce ; et ajouté à cette organisation irréprochable, son épouse, Mme Lefebvre, délivrait les médicaments dans leur demeure. De cette manière, Roquetoire avait sa pharmacie.
Je me souviens du facteur, un homme de haute taille. Connaissant tout le monde, il sillonnait le village à vélo, portait de grosses chaussures et des guêtres, et déposait nos lettres sur lesquelles n’apparaissaient ni le nom des rues ni le numéro des habitations ! Le courrier était adressé au nom du destinataire et en dessous figurait la commune ou le hameau, avec la mention « par Aire-sur-la-Lys ».
Nous ne manquions de rien dans ces hameaux d’un millier d’âmes qui étaient bordés de champs. Le village avait du charme avec ses espaces verdoyants, ses nombreuses chapelles au coin des sentiers et ses jolis chemins. Des voyettes, des petites voies, de légers passages, des cours d’eau La Liauwette et La Melde, offraient des vues bucoliques dans un îlot de verdure, à l’instar de la source Saint-Michel…«